C’est le moment de vous présenter la famille de Laurent Vachon : son père, Ferdinand, né le 11 janvier 1895 à St-Jacques de Parisville. Sa mère, Marie Grimard, née le 23 octobre 1895 à Fortierville. Mariés le 7 janvier 1919, de leur union 12 enfants sont nés, dont 10 vivants.
Gemma, née le 18 octobre 1919, est décédée le 22 septembre 1920. Lorsqu’elle est morte, son papa était au chantier et les moyens de communication n’étaient pas très accessibles. Le père a raconté, après avoir su la date du décès de son enfant, qu’il a vu passer une petite main : c’était son bébé, venu lui dire au revoir. Quelques jours avant ce décès, un quêteux s’était présenté et, comme le bébé pleurait, sa maman Marie a demandé à l’homme d’attendre un peu car elle voulait s’occuper de l’enfant malade. Le quêteux lui a dit : «Ta petite va mourir!». Il est parti sans qu’elle puisse lui faire une aumône. Comme la coutume le voulait, on ne refusait pas la plus petite somme qu’on pouvait donner. Les superstitions étant bien ancrées, Marie s’est demandé si un sort ne lui avait pas été jeté… Mais je crois que cette petite avait une maladie très grave. Cependant, selon Laurent, sa mère a toujours eu un doute; les légendes prenaient beaucoup d’importance à cette époque.
M. Vachon gagnait sa vie dans les chantiers. Il partait au début de l’automne pour ne revenir qu’au printemps. Au début de l’été, il défrichait sa terre car il y avait du bois tout près, à l’arrière de la maison. Est- ce que vous pouvez imaginer le travail que cet homme a fait? C’était un monsieur d’une force incroyable pour avoir fait tout ce travail!
Et que dire de Marie, sa femme, qui demeurait avec la besogne de la maisonnée et de l’étable… Les gens de cette génération ont travaillé extrêmement dur pour bâtir ce que nous avons aujourd’hui.
Il ne faut pas oublier que notre pays n’a que 500 ans. Faisons un peu d’histoire. En 1534, Jacques Cartier débarquait à Gaspé et voilà le début de notre pays; j’écris ce passage en 2006, faites le calcul et regardez comme il y a eu de travail accompli.
Le 10 mars 1921, Imelda arrivait, accompagnée d’une jumelle qui est décédée le même jour; c’était une petite Marie.
Le 18 avril 1922, c’est la naissance de Rose-Alma.
Le 30 décembre 1923, un premier garçon: Éméridé.
Le 18 juillet 1925 : naissance d’Irène.
Le 14 octobre 1926, s’ajoute Gabrielle.
Le 4 octobre 1928, c’est l’arrivée de Rita.
Le 12 décembre1931 : naissance de Denise.
Le 30 AVRIL 1933, C’EST LAURENT QUI ARRIVAIT.
Le 28 juin 1935 naît le «p’tit» dernier : Marcel.
Le 30 avril 1946, Laurent fêtait son 13e anniversaire de naissance et le destin a fait que ce jour coïncidait avec mon arrivée à Manseau. J’ai toujours pensé que notre route est tracée dans l’univers et que notre destin était lié sans qu’on le sache. Bizarre, n’est-ce pas? Et par surcroît, la balade du chiffre 13 a commencé et nous a suivis durant toute notre vie : notre première sortie et bien d’autres évènements que je vous dévoilerai par la suite.
Revenons à notre retour de voyage de noces. Je vous disais que Mme Vachon était restée quelques semaines. J’ai été accueillie dans cette famille avec tellement de gentillesse et de délicatesse..
Comme c’était la récolte des patates, il y avait des hommes à nourrir et Mme Vachon m’a donné un répit en acceptant de rester avec nous; elle savait combien j’avais eu de responsabilités durant les années précédentes. Ces trois semaines se sont passées sans soucis, sans que j’aie à penser aux repas, car lorsque je demandais à ma belle-mère si je pouvais l’aider, elle me disait : «Va retrouver ton Laurent!». Alors je passais toutes mes journées avec lui à son travail soit dans les champs, soit dans l’étable. Je suis certaine que cette période m’a permis de me reposer car j’étais très fatiguée.
Il n’y a pas une journée où je ne pensais pas à mes frères et ma sœur. Gaétan et Gilles sont partis le même automne pour aller travailler. Roger a été une année au noviciat chez les frères du Sacré-Cœur d’Arthabaska, mais il en est revenu. Il était habile dans la maison et il a pris la relève. J’y allais aussi souvent que je pouvais mais… il me fallait tourner la page.
Lorsque Mme Vachon est partie pour Princeville, nous avons emménagé dans la chambre du bas avec le mobilier de chambre qu’on avait acheté avant notre mariage; l’autre pièce de notre mobilier que nous nous sommes procurés a été une machine à coudre. Comme première confection, j’ai fait une chemise à Laurent. Par la suite, nous avons acheté une laveuse à linge. Il restait quand même tout ce dont nous avions besoin. Ma belle-maman y a vu afin que nous ne manquions de rien.
Je continuais à travailler avec Laurent; il m’aidait dans la maison afin que je puisse être avec lui.
Nous nous amusions beaucoup : être ensemble nous rendait très heureux. Laurent aimait me taquiner pour ne pas dire «m’asticoter» et je dois dire que je savais lui répondre. Cependant, il lui arrivait de ne pas s’arrêter avant que la patience me manque. Lorsque je lui disais que c’était assez, il continuait! Alors laissez-moi vous raconter la première fois.
Je l’accompagnais à son travail à la traite du soir. Il me demande : «Veux-tu aller me chercher un tuyau de trayeuse?». J’y vais, mais Monsieur m’a suivie et quand je me suis retournée pour me diriger vers la porte entre la laiterie et l’étable, il me bloque le passage en me disant : «Fais le tour par l’autre porte,». C’était celle qui menait dehors. J’ai refusé, lui disant que je ne voyais pas pourquoi je ferais le tour quand tout le monde passait par cette porte de service. Il insistait; et naturellement, je refusais de m’exécuter. Toujours est-il que je lui lance un ultimatum : «Tu me laisse passer!» et je joins le geste à la parole. J’élève le tuyau pour le frapper. Il a bien vu que je passerais par cette porte et, croyez-moi, il s’est tassé.
Après coup, j’ai réfléchi à mon geste je ne me suis pas sentie très gentille. C’est alors que je lui ai demandé de ne plus me pousser à bout. Vous croyez qu’il m’a écoutée? Pas du tout! Dès la première occasion, les taquineries sont revenues mais il faisait un peu plus attention de ne pas aller trop loin. Sauf que parfois …
Avant d’aller faire le train du soir, Laurent venait s’offrir une collation de pain et de confitures; pas juste une tranche ou deux, non, non, plusieurs tranches! Naturellement, ça gâchait son souper que je préparais avec soin. Un soir, il se présente pour sa collation et je lui dis : «Ce soir, pas de confitures! Je veux que tu aies faim pour souper avec moi.» Il me réplique : «Ma mère, ELLE, elle me laissait faire…» OUF! Justement les paroles à ne pas me dire. La réponse ne s’est pas fait attendre : «Tu ne vis plus avec ta mère mais avec ta femme et j’aimerais que tu aies de l’appétit pour le repas que j’ai préparé.» Finies, les collations! De tout petits ajustements…
Le jeu de barreaux que mon grand-père m’avait montré, je m’en suis fabriqué un et on faisait des parties mémorables. Si on avait commencé une partie et que nous ne pouvions la terminer, on la laissait en plan sur une table pour la continuer aussitôt que nous avions un moment de liberté.
Laurent jouait dur avec moi, mais j’étais orgueilleuse. On faisait le jeu de la jambette : placés l’un contre l’autre, on essayait de renverser l’autre personne. C’est un jeu d’habileté et de trucs et, croyez-moi, j’étais devenue bonne : il m’arrivait de renverser Laurent.
Un jour, M. Vachon était à table avec nous. Je me suis levée pour aller chercher quelque chose. Je ne me suis pas méfiée et, quand j’ai voulu m’asseoir, mon cher mari a retiré ma chaise; je me suis retrouvée par terre. Son père n’a pas dit un mot, mais le soir, il a demandé à Mme Vachon de dire à Laurent de jouer moins dur avec moi. Voici ce que sa mère m’a rapporté. Ferdinand lui a dit : «Moriable» (c’était son patois), il va finir par la blesser!». Quand on est jeune, on n’a pas toujours conscience des limites de nos forces et des conséquences de nos actes.
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