Chapitre 5 - L’école ménagère

Le 2 janvier 1952, départ pour le pensionnat, une expérience que j'ai tant désirée! J’avais hâte de connaître ce genre de vie.  Je suis donc partie par le train.  Mon oncle Jacques et ma tante Éliane sont venus m’accompagner pour faire mon entrée.  On a beau vouloir quelque chose de tout son cœur, on a quand même besoin d’appui devant l’inconnu.
Ma valise m’avait précédée. Lorsque tu arrives et que tu vois une sœur qui te reçoit derrière une grille, déjà là tu te demandes où est-ce que tu es rendue!  Tu prends une grande respiration et tu te dis : «On y va!».
On nous envoyait dans le parloir; où une religieuse converse, parmi celles dont je vous disais un peu plus tôt qu’elles pouvaient sortir en dehors des grilles, nous indiquait un peu ce qui nous attendait. Le temps de dire au revoir à nos parents et voilà! on entre derrière les grilles. Il y avait des filles de toutes les régions même de l’Abitibi, de la Gaspésie, de la Mauricie…
On a fait le tour du propriétaire. Lorsque nous sommes arrivées au dortoir, on a été très impressionnées devant ces 4 rangées de lits avec petite commode.  On nous a montré comment nous habiller et nous déshabiller sous notre jaquette; tout un sport!  On pouvait bien nous avoir demandé une jaquette ample! Nous étions 100 à 125 filles et quand venait le temps du coucher et du lever, nous étions minutées pour notre toilette, nous laver les dents, la course, quoi!  Et le bain : là aussi, pas question de s’y prélasser!
La cour de récréation était entourée de murs de 8 pieds de haut, donc aucune possibilité de voir ce qui ce passait en dehors.  Mais on nous occupait à chaque minute; on n’avait pas le temps de penser à l’extérieur. On avait des heures de cours, de récréations; le groupe était séparé en deux et, à toutes les deux semaines, il fallait présenter un spectacle pour toute la communauté.
Comme on changeait de cours à tous les mois, j’ai fait deux mois de couture parce que ma tante m’a aidée en demandant si je pouvais prendre ce cours au lieu de faire deux cours d’art culinaire.  J’en étais ravie, car la couture était mon centre d’intérêt.
À la fin de l’année, au le dernier spectacle où il y avait plusieurs invités de marque pour les religieuses, les parents étaient invités.  Moi, c’était mon oncle Jacques et ma tante Éliane qui sont venus me voir évoluer.  J’ouvrais le spectacle, dans une petite pièce de théâtre; lorsque le rideau s’ouvrait,  j’étais seule sur scène. Heureusement que j’étais assise, car les jambes me tremblaient, mais dès les premiers mots prononcés, je suis devenue le personnage et ça bien été je me suis sentie fière de moi.  J’avais vaincu ma timidité. 
Une fois par mois, on avait droit à une sortie de fin de semaine, du vendredi au dimanche soir, six heures.  Les autres fins de semaines, on avait droit à de la visite au parloir.  Moi, j’en ai eu à toutes les fins de semaines : parfois c’était Hélène Beauchamp, mon oncle et ma tante, mes voisines de Manseau qui travaillaient à l’hôpital St-Jean-de-Dieu.  J’ai été gâtée!
Je vais vous parler du travail de mes amies à l’hôpital où je suis allée les visiter une fois ; elles étaient préposées aux malades mentaux.  Je trouvais mes amies très courageuses de travailler dans ce domaine où on voyait des comportements tellement bizarres… On ouvrait une porte et on refermait à clé derrière nous.  On entendait des personnes qui criaient constamment, d’autres qui parlaient à des personnes imaginaires, de très grands infirmes, quoi.  À cette époque, l’hôpital était situé près du terminus des tramways, un endroit très isolé, pas très rassurant. Lorsqu’on sortait de là, on avait l’impression d’être suivi par des malades. Je n’y suis allée qu’une fois et j’en ai eu assez! Mes amies vivaient à peu près comme moi : elles dormaient dans un dortoir d’une douzaine de filles et des religieuses géraient cet hôpital.
Pendant l’une de mes sorties, durant les fêtes de Pâques, le Vendredi Saint, Hélène et moi on est allées faire notre visite des magasins. On a mangé au restaurant et on a oublié qu’on était en période de carême, très sévère dans ce temps-là; on a  commandé un hot dog…  Jusque-là, ça va bien et il était bon, mais on se demandait pourquoi les gens nous regardaient bizarrement. On n’y a pensé qu’après notre sortie du restaurant car cette journée était maigre et jeûne, c'est-à-dire défense de manger de la viande.  Bien sûr, on en a ri en comprenant pourquoi on nous regardait de cette façon.  Il ne fallait pas grand-chose pour se faire juger…  Autres temps, autres mœurs!     
Je dois dire que de ces 6 mois passés à l’école ménagère, je n’ai que de bons souvenirs.  Lorsque je vous ai entretenus de ma demande pour aller à l’école, je vous disais que j’avais assisté à une entrée au cloître.  Je crois que ça été un fait très marquant de mon séjour dans cet établissement. Naturellement, je n’ai jamais revu personne de mes consoeurs du couvent.  J’ai correspondu quelques années avec une fille de St-Rémi-de-Tinwick,  mais de Manseau à ce patelin, à l’époque, c’était loin! Donc un jour, on a cessé de s’écrire.

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