Au début, on ne savait pas trop ce quelle avait. Le médecin la soignait, disant quelle manquait de vitamines. Il lui donnait des capsules de foie de veau mais elle dépérissait de plus en plus. On n’avait pas les mêmes moyens de détection des maladies : on essayait bien des choses avant d’aller à l’hôpital.
Elle était presque toujours alitée, sans force et elle s’est mise à enfler. Son ventre est devenu très gros. Mon père, Laurent et moi, on est allé voir un médecin à St-Pierre-les-Becquets. Tout de suite, le médecin a fait une demande pour qu’elle soit hospitalisée à Nicolet. Laurent, papa et moi sommes allés la reconduire le 9 août 1953, le jour de mon anniversaire de naissance. J’avais 19 ans et c’est la dernière fois que j’ai vu Maman vivante.
On lui a fait des examens sans réussir à voir ce qui se passait. La décision a été de l’ouvrir afin de savoir ce qui n’allait pas. En ouvrant, on a découvert un cancer de l’estomac, mais il était situé à l’extérieur de cet organe; on ne pouvait le voir avec une radiographie. L’enflure de son ventre, c’était de l’eau.
Papa est allé la voir toutes les semaines jusqu’à son décès, le 5 septembre 1953. Mon père lui avait rendu visite cette journée-là. Lorsqu’il est revenu à la maison, il nous a dit qu’il l’avait trouvée mieux qu’il avait confiance qu’elle puisse se remettre, mais tard en soirée, un téléphone nous annonçait le décès de sa chère Yvonne. Mon père s’est effondré, en larmes.
Je n’arrivais pas à croire ce qui arrivait. Je voudrais vous dire ce que j’ai ressenti, mais je crois qu’il n’y a pas de mots pour exprimer ce moment où tout chavire : c’est… la fin du monde! Nous savons tous que nous perdrons nos parents : c’est la loi de la nature. Mais quand ils ont vécu une vie longue et bien remplie, le départ est moins difficile. Ce que je veux dire, c’est que nous avons le temps d’accumuler des souvenirs avec des années supplémentaires que je n’ai pas eues avec ma mère : elle n’avait que 42 ans. Cependant, je suis certaine d’une chose : il y avait maintenant Émérilda et Yvonne qui veillaient sur nous et j’ai eu plusieurs fois dans ma vie la certitude que chaque fois que j’avais besoin d’une présence, je ressentais que j’avais une réponse.
Je vais vous parler des rituels qui suivaient un décès. Les salons funéraires avaient fait leur apparition en ville, mais pas à la campagne. Donc, les personnes étaient exposées à la maison. C’était quelque chose à vivre, car on veillait la personne décédée jour et nuit. Il y avait continuellement du monde; on devait servir les repas même durant la nuit. En majorité, c’était les hommes qui demeuraient debout, mais les femmes et les enfants occupaient les chambres pour que chacun ait une petite place. Les gens s’étendaient en travers des lits. Ça durait 3 jours… Inutile de dire combien j’étais désarmée devant tout ceci, mais il y a quelqu’un qui a été une autre personne très marquante dans ma vie : c’est la sœur de Laurent, habitant en face de chez nous, au bout de la petite rue. Je l’ai connue bien avant Laurent. Elle a toujours été l’une de nos clientes et elle est devenue ma confidente car, à l’adolescence, on aime discuter de certaines choses qu’on ne dit pas nécessairement à nos parents. Donc, malgré ses 5 enfants entre 8 ans et 1 an, même si sa tâche était lourde, Irène a quand même préparé tous les repas pour tout ce monde.
La famille Trottier était nombreuse et la majorité n’avait pas d’auto. C’était la mentalité de venir partager la douleur avec les siens. C’est correct, mais pour ceux qui étaient dans la peine, aucun moment de répit. Aujour-d’hui, on continue encore à aller offrir nos condoléances, mais on laisse quand même quelques heures de repos aux personnes éprouvées, ce qui leur permet de vivre leur peine. Bien sûr, je peux dire ça aujourd’hui mais chaque époque a sa façon de faire les choses. J’ai toujours su qu’Irène m’aimait bien mais je ne puis que voir sa grande générosité envers notre famille. Je ne vous ai pas parlé de Laurent : il a été très affecté et il a partagé ma peine. Chaque fois que je le regardais, ses yeux me disaient qu’il m’aimait et que je pouvais compter sur lui; et depuis plus de 50 ans, ça ne s’est jamais démenti.
Après le service à l’église, il y a eu le dernier repas et les sœurs de papa se sont manifestées : chacune est venue me dire de penser à remettre ma vie amoureuse en question à cause du deuil, car toutes savaient que Laurent et moi avions le projet de nous marier en mai 1954. Nous avions choisi la date anniversaire de ma mémère Paquin, le 6 mai. Je sais que ces tantes ne faisaient pas ça pour être désagréables, mais jamais elles ne pouvaient comprendre combien elles ajoutaient à ma peine.
Lorsque tout le monde a été parti, la maison était dans un état incroyable! Du sable dans toutes les pièces, les lits tous à laver… Je me suis sentie incroyablement seule malgré Laurent et Irène qui étaient présents à essayer de me consoler. Je me suis réfugiée chez Irène, j’ai pleuré, crié ma douleur; je voyais que Laurent et Irène se sentaient tellement dépourvus! Ils voulaient m’aider mais le trop plein devait être évacué car je devais retourner faire face à ce qui m’attendait. Même si, durant la maladie de Maman, j’entretenais la maison, il manquait un maillon sur qui je pouvais compter car elle me guidait dans les choses que je devais apprendre.
Lorsque je suis revenue à la maison, Papa avait commencé à passer la balayeuse et une sœur de mon père était demeurée chez nous, soi-disant pour aider, mais elle ne donnait que des ordres en se berçant. Le pire, c’est qu’elle ne restait qu’à ½ mille de notre maison. Après une semaine, j’en ai eu assez et j’ai dit à mon père : «C’est elle qui sort ou c’est moi!» Madame s’est offusquée, mais ce n’était pas mon père qui l’avait sur le dos toute la journée puisqu’il travaillait dehors. Je me suis relevé les manches : la vie me rappelait que tout devait continuer, même sans Maman.
Je vais vous parler d’un aspect du deuil et de ses règles. Les femmes devaient porter du noir et ça durant une année. Une petite robe noire, il n’y a rien de plus chic mais, par obligation, ça devient insupportable! Mes robes étaient très jolies mais qui n’aime pas avoir le loisir de porter de la couleur de temps à autre? Lorsque le printemps suivant est arrivé, j’ai décidé de porter des couleurs de demi-deuil, comme on disait à ce moment. Ces couleurs étaient soit gris, mauve, marine ou blanc. Moi, je savais que je vivais mon deuil dans mon cœur et non dans ce que je portais, même si j’étais consciente du jugement qui suivrait … Pour les hommes, le port de la cravate noire était de mise.
L’automne est arrivé, avec la récolte des patates. Je commençais les préparatifs de l’hiver qui venait, mais je dois dire que cette étape, je ne la vois que comme dans un brouillard. Mon père m’aidait le plus qu’il pouvait, surtout avec la balayeuse. C’était une si grande maison à entretenir! 5 chambres à coucher, salon,, cuisine… Combien de fois je suis allée voir Irène afin qu’elle m’aide à planifier mon travail. Je pleurais parce que je n’y arrivais pas. Combien de fois Laurent venait me voir et me regardait coudre, repriser le linge… Les journées était trop courtes.
Mon père s’était enfermé dans sa coquille et j’avais beaucoup de difficulté à communiquer avec lui. Il faut dire que lorsque Maman était là, tout passait par elle, comme dans bien des foyers.
Comme prévu, Laurent et moi, nous nous sommes fiancés à Noël. J’étais heureuse de m’engager, mais Maman m’a beaucoup manqué. Les Fêtes ont été plus tôt difficiles, mais la vie a repris son cours.
Au printemps, Yvon, Thérèse et Michel avaient besoin de nouveaux vêtements. Avec l’aide d’Irène, je me suis lancée dans la confection; ce que j’avais appris chez ma tante Éliane et au couvent m’a bien servi. Laurent, comme je vous le disais un peu plus tôt, m’accompagnait en me regardant coudre.
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