Le 5 octobre 1945, Yvon naissait. C'est ma tante Éliane et oncle Jacques qui sont parrain et marraine. Les garçons sont majoritaires dans cette famille, mais au moins j'avais ma petite sœur. J'aime beaucoup mes frères mais on a beaucoup plus d'affinités entre garçons ou entre filles quand on peut avoir la chance que le hasard soit de notre bord. Bravo!
Premièrement, les anciens propriétaires étaient toujours là! C'était sur l'heure du midi, rien n'était déplacé dans la maison. Comment pouvoir placer nos choses? Le camion de déménagement attendait, pendant qu’un fouillis total régnait dans cette maison. Jamais vu une maison avec un tel désordre! Il y avait des amas de linge carrément par terre dans le coin du salon… Inutile de dire comment était le reste de la maison! J'avais 11 ans et demi et Yvon, 6 mois. Six enfants à caser pour les repas, le coucher parmi tout ce fouillis…
Je me dois de vous parler du confort de cette nouvelle maison, car lorsque je vous parlais de St-Vincent, il y avait une chambre de bain complète avec eau chaude, la chaleur l’hiver. Mais à Manseau, salle de toilette au deuxième étage avec seulement un lavabo, pas d’eau chaude, donc, pour faire notre toilette. Ou on se lavait à l’eau froide, ou on allait chercher l’eau chaude à la cuisine dans le «boiler» du poêle, c'est-à-dire un réservoir qui était un compartiment du poêle. Si on puisait de l’eau et qu’on oubliait de remplir le réservoir, adieu eau chaude! ! Et l’été, on devait aller à la toilette (bécosse) dehors parce qu’on avait un puisard et comme on repoussait le temps de vider, travail pas très agréable, c’est pourquoi on allait aux toilettes dehors. La journée de la lessive, on était très occupés : il fallait faire chauffer l’eau dans des réservoirs supplémentaires pour la machine à laver avec tordeur et Maman était très fière du linge qui ressortait : le blanc, il fallait qu’il soit vraiment blanc! Alors beaucoup de temps était consacré à ce travail.
C’était une très grande maison et l’hiver, le chauffage, pas très adéquat. Il y avait une fournaise à bois dans la cave, au premier étage un peu plus de grilles pour diffuser la chaleur, mais pour le 2e étage, une grille seulement dans la salle de toilette. Inutile de dire que lorsqu’il faisait – 30 degrés, c’est à qui irait s’habiller à la chaleur. Lorsqu’on soufflait, une buée sortait de notre bouche. Heureusement que nous avions de bonnes couvertures chaudes pour nos lits!
Dans la paroisse, tous n’avaient pas l’électricité. Plusieurs rangs en étaient privés. Dans le rang qui longeait notre terre, près de la route 20 d’aujourd’hui, ils ont eu l’électricité vers les années 49 ou 50. C’est ainsi que notre vie se déroulait durant ces années.
Il y avait, parmi nos bâtiments, une écurie de dételage pour les chevaux des gens qui venaient soit à la messe ou tout simplement au village. Alors, ils entraient leurs chevaux à l'écurie pour qu'ils soient à la chaleur et en sécurité, mais le hic dans tout ça, c’est que les gens s'attendaient à être reçus dans la maison. Ce n'était pas la majorité qui entraient. Mon père avait demandé d'avertir les gens que lui ne voulait pas continuer cette location : il voulait transformer les bâtiments pour recevoir des vaches, des poules et des porcs. Ce n'était pas simple, car les places pour stationner les chevaux au village étaient rares mais les gens ont réussi à trouver d'autres places.
Et l'école, à Manseau… J'étais en 6e année à l’école de Pont-Viau, j'avais fait ma communion solennelle. C'était une nouvelle étape dans notre foi : on apprenait les évangiles, le catéchisme et l'histoire sainte. C'est pourquoi on disait que c'était «solennel».
Donc, pour moi, cette étape était faite mais, lorsque je suis arrivée à Manseau, je n'avais aucun livre pareil à ceux des autres enfants. Alors, même si on était au début de mai, sans me passer de test pour m’évaluer, on m'a tout simplement descendue en 5e année, car la maîtresse n'avait pas le temps de consulter mes livres afin de me donner du travail. L'année suivante, ça voulait dire que je recommençais ma 6e, mais comme ma communion était faite, je ne «marchais» pas au catéchisme comme on disait; on allait à l'église et c'est le curé qui recevait les enfants pour réviser tout le travail qui se faisait à l’école sur les thèmes religieux. Comme vous voyez, ça a été une année perdue.
Je voudrais vous dire de quelle façon je me suis sentie lors de notre arrivée à Manseau. Dans ces petites paroisses, l’esprit de clocher était très fort. Donc, j’étais une étrangère et on me regardait de haut. Ça m’a pris du temps à apprivoiser les élèves, surtout que je ne faisais pas comme les autres : je n’allais pas au catéchisme, mes vêtements n’étaient pas tout à fait dans la norme du milieu, on me traitait de «fraîche» pour ne pas dire «snob». Avant de partir de St-Vincent, on m’avait acheté un manteau couleur chocolat au lait et un petit chapeau comme celui des marins : il était bleu avec garnitures rouges. J’en était très fière… C’est là que j’ai compris combien les enfants peuvent être durs entre eux… Mais avec de la patience et un sourire irrésistible, je me suis fait des amies. J’allais au chœur de chant, car durant le mois de mai, le mois de Marie, on allait à l’église tous les soirs dire le chapelet. Il y avait des cantiques chantés et, comme j’aimais beaucoup chanter, c’était un plaisir pour moi. Durant ce mois, après les dévotions, les enfants des rangs, eux, allaient à la Croix des chemins; ces Croix, habituellement, il y en avait dans tous les chemins ou rangs et les jeunes s’y réunissaient pour s’amuser.
Durant ce temps, mon père organisait la ferme : il lui fallait acheter des animaux, faire les emplacements pour les poulaillers, car ce sera la principale production.
Mon père aimait les coopératives. Avec l’aide du curé et du maire du temps, ils ont lancé une coop. avicole afin de permettre à tous les fermiers d’avoir la possibilité du meilleur prix de vente pour leurs œufs, car ils n’étaient pas des producteurs de grandes quantités, mais ça leur permettait d’écouler leurs surplus. Papa mirait les œufs pour détecter la fraîcheur, les taches de sang, le classement, soit les A gros, les moyens, les œufs craqués que nous vendions dans notre voisinage. Les gens étaient preneurs car on offrait le meilleur prix . On vendait aussi le lait à la pinte, du poulet que mon père abattait lui-même à chaque semaine, selon la demande.
Revenons à la coop. avicole : j’avais pour travail la tenue des livres et les paies. Maman me secondait selon ses disponibilités. Souvent, je recevais les clients et lorsque c’était l’arrivée des poussins, c’était mon travail de soigner les poulets; ils avaient 1 jour à leur arrivée. Le poulailler était chauffé avec des fournaises qu’on appelait «couveuses» car les bébés demandent une grande chaleur (80 degrés F). Il fallait laver les émis et les abreuvoirs tous les jours afin qu’il n’y ait pas de maladies qui se développent. Debout tôt le matin, j’avais mon travail à faire avant d’aller à l’école. J’adorais ce travail qui durait de 3 semaines à un mois. Après, on enlevait les couveuses et on comptait soit les futures poules pondeuses, soit les poulets BBQ., soit encore les chapons qu’on vendait pour les Fêtes. Là encore, je faisais du porte-à-porte pour prendre les commandes et expliquer que ces volailles remplaçaient très bien la dinde. Rares les familles qui n’avaient pas leur chapon aux repas des Fêtes. J’aidais aussi ma mère dans la maison. Lorsque je n’avais pas d’arrivées de poulets, je devais aller à la messe de 6 heures trente tous les matins, représenter la famille.
Les poulets arrivaient à différentes périodes entre mars et octobre. Si je me souviens bien, c’était 500 poulets à la fois. On faisait la livraison du lait, des œufs et de tous les produits de saison qu’on vendait au village. Maman et moi, on préparait toutes les pintes de lait à livrer par les garçons qui faisaient ça matin et soir. Comme vous voyez, chacun participait à sa façon au travail de la ferme. Chez tous les fermiers, les enfants étaient très présents aux corvées quotidiennes.
Mes grands-parents Paquin avaient vendu leur ferme et ils sont venus habiter avec nous. Pépère est venu avec sa petite jument qui s’appelait Fine, je crois. Aussi, les vaches ont dû être achetées lors de la vente de leur ferme. Nous avons eu de la chance de connaître ce partage avec mes grands-parents! J’aimais me confier à Mémère : elle savait écouter. Pépère, lui, m’a initiée à jouer aux cartes. Bien difficile de gagner une partie! Il nous avait fait un jeu de barreaux sur un grand carton. Comme vous voyez, on s’amusait avec des choses simples. J’ai joué à ce jeu même avec mes enfants, mais aujourd’hui je serais incapable de le refaire.
Mon pépère Arthur était un homme doux, rieur, et je crois qu’il aimait beaucoup ses petits-enfants. Son patois était «Commerce de Commerce!» et, s’il était fâché, «Joual vert!». Je me souviens spécialement d’un été…
Durant le temps de la récolte des foins, tout se faisait manuellement. Après avoir coupé le foin, on le mettait en «vailloche», c'est-à-dire en petits monticules, pour ensuite le charger dans une voiture qui le ramenait vers la grange. Ce jour-là, on voyait bien qu’un orage arrivait. C’était la course, mais on s’est fait prendre quand même! Il grêlait. Mon Pépère voulait me protéger contre la grêle; il essayait de m’enterrer dans le foin afin que je n’aie pas de mal, il me cachait avec son corps. Et, grâce à lui, je n’ai pas eu peur! Il y a comme ça des images ineffaçables…
Un jour, il se présente quelqu’un qui voulait du lait. L’heure de la traite était dépassée, mais ce matin-là, nous étions en retard. À cause de ce retard, je suis allée à l’étable avec Pépère pour traire une vache, chose que je n’avais jamais faite. Tout se faisait à la main, et je demande à Pépère de me montrer comment faire. Il me le montre, mais le lait allait carrément en dehors de la chaudière! Il riait de me voir rater mon coup et il s’est empressé de me taquiner devant la famille. Inutile de dire que je n’ai pas donné suite au désir d’apprendre à traire les vaches : je n’y tenais pas tant que ça…
Malgré tout le travail qu’on faisait, on pourrait croire que nous n’avions pas assez de temps de nous amuser. Bien sûr que nous avions des périodes de jeux et de détente! Comme j’aimais beaucoup la lecture, j’avais toujours quelque chose à lire. On pouvait avoir des livres de la bibliothèque de l’école. Si j’avais chez moi tous les livres que j’ai lus durant ma vie, je ne crois pas que ma maison actuelle serait assez grande pour les contenir tous!
Revenons à ma mémère Joséphine, une femme d’une grande douceur et d’une telle générosité! Elle nous aidait selon ses capacités. Je l’ai toujours vue avec un chapelet dans sa poche de tablier; dès qu’elle avait une minute, elle priait. Malheureusement, elle ne savait ni lire ni écrire. Ce n’était pas rare à cette époque de rencontrer ce problème, surtout chez les filles qui, disait-on, n’avaient pas besoin de ça pour s’occuper d’élever des enfants. Beaucoup de garçons aussi avaient le même handicap. Ce que j’aimais, c’est lorsqu’elle nous faisait sa soupe. Pour moi, c’était la meilleure soupe au monde! Je crois que l’odeur et le goût me reviennent quand j’y pense. C’est encore présent. Ce sont tellement de beaux moments de notre enfance! C’est là qu’on voit que le ventre satisfait devient un souvenir incroyable.
Mon Pépère, lui, savait lire. Il lisait son journal avec intérêt et il aimait discuter des nouvelles qu’il avait lues. Malgré sa surdité, il communiquait quand même assez bien. Il avait les cheveux blancs et Mémère, elle, avait les cheveux noirs, même lorsqu’elle est décédée à 82 ans, avec seulement quelques cheveux blancs sur les tempes. Incroyable! J’ai dû hériter des cheveux de mon Pépère…
Printemps 1947. On prépare les semences. Il faut tailler en morceaux dans une patate qui vieillit et présente des germes. Il faut un germe présent dans chaque morceau afin d’avoir un plan producteur pour une récolte à l’automne. Lorsqu’on semait 50 poches de patates de 100 livres, on pouvait récolter environ 20 poches pour une poche de semences toujours de 100 livres. Alors, à notre retour de l’école, les enfants devaient aider. Une période plutôt occupée, n’est-ce pas ?. On faisait de tout, contrairement à aujourd’hui, où on se spécialise dans une seule production.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire