Je vais vous parler de ce que je faisais durant nos longs hivers. Ma belle-sœur avait travaillé dans une industrie de tricot où elle faisait la finition des bas, soit la couture au bout du pied. Elle opérait une machine spéciale :et après la couture exécutée, il y avait un surplus qu’on appelait de la « looping ». Ma belle-mère a toujours trouvé une utilité à la moindre chose, elle a toujours su faire quelque chose avec rien, c’est une personne très adroite de ses dix doigts. Donc, elle m’a appris à faire de la teinture pour la looping et à tricoter à l’aide d’un crochet de bois que Laurent m’avait fabriqué. J’aimais beaucoup ce genre de travail ; je trouvais toujours un endroit où je pouvais étendre ces tapis qui se lavaient aussi très bien et que j’ai gardés plusieurs années Je n’ai pas fait beaucoup de tricot comme vêtements mais plutôt de la couture, ce que je trouvais plus facile.
Mme Vachon voyait mon attrait pour la couture. Elle recevait beaucoup de linge qui lui était offert : des paletots, pantalons, etc. que je défaisais pour faire du linge aux enfants. Je leur faisais leurs habits de neige, leurs manteaux et pantalons de jeux. Quand l’école a débuté pour eux, je faisais leur costume : veston marine et pantalon gris. Ce que j’ai eu le plus de difficulté à exécuter, c’est les braguettes. J’ai commencé par défaire un pantalon pour voir comment c’était monté et j’ai réussi après plusieurs essais. Souvent, quand j’avais de la difficulté, j’abandonnais et le soir en me couchant je me disais que je verrais la solution durant mes rêves et c’est très rare que je n’ai pas eu réponse à mes problèmes. Essayez !…
Au printemps, pour leur anniversaire, nous avons procuré à nos garçons chacun un tricycle. Celui de Dan était plus petit car il avait 3 ans, mais ça ne l’empêchait pas d’être cow-boy. Il se dirigeait vers sa chambre et il fallait qu’il passe vis-à-vis de l’escalier où il y avait une barrière, mais jamais assez solide pour empêcher une collision, un jour fatal! Et voilà l’accident : direct en bas de l’escalier, avec son bolide. Je vais le chercher : il saignait du nez et d’une dent. Après l’avoir lavé et consolé, j’ai vu que sa dent était déplacée vers l’arrière. Je me suis dit : «On va voir si ça lui nuit.». Il avait les lèvres très enflées mais avec des compresses d’eau tiède, quand il s’est couché le soir, ça allait bien. Le lendemain, il était correct. Comme je lui avais appris à grimper, il ne s’en privait pas, mais une nouvelle chute… et voilà que la dent a repris sa place ! Une nouvelle consolation et les jeux reprennent. Ouf !… Ils prenaient beaucoup d’espace, ils avaient beaucoup d’énergie : de vrais petits gars en santé.
La vie se déroulait entre nos enfants, les 3 de Mariette et les 3 miens. Les jours étais trop courts. À la fête des mères, on a fait renforcer l’électricité et j’ai eu un poêle de marque l’Islet à quatre ronds et avec un grand four. Je l’ai gardé 45 ans ! Maintenant, c’est ma petite-fille qui l’a repris; c’est presque une antiquité.
Ce même printemps, nous avons changé d’auto. Notre Chevrolet avait fait son devoir, les planchers avaient des trous. On s’est procuré un Plymouth bleu ciel automatique ; les vitesses s’échangeaient avec des boutons poussoirs. Je n’ai jamais revu ce système sur d’autres voitures.
Nous commencions à être à l’étroit, autant chez Marcel que chez nous. Il y avait 6 enfants déjà entre 1955 et 1961. La recherche d’un logement n’a pas été facile car ils étaient rares, surtout que je voulais être au premier étage, car dans les escaliers, avec 3 enfants, c’est du sport et la surveillance est difficile. Là où j’étais, je pouvais compter que ma belle-sœur avait un œil sur la marmaille, tant que les enfants ne sortaient pas de la cour, mais bientôt ce serait différent.
Donc, la chasse au logement commence. Je voulais un bas et j’ai trouvé une vieille maison, propre mais où les planchers n’étaient pas de niveau, même que dans le salon, on disait «la haute ville et la basse ville» ; quand le plancher était ciré, les enfants pouvaient glisser plein de blocs sous les meubles. Dans notre chambre, on avait la tête vers le bas. Mais j’avais un logement au premier étage !
Il y avait un autre obstacle : les voisins. On m’avait prévenue que tous ceux qui avait essayé de demeurer là, tôt où tard déménageaient. C’était une famille très pauvre et une maman pas très propre. Le père travaillait, mais les salaires n’étaient pas assez élevés pour faire vivre une si grande famille. Malgré que plusieurs personnes étaient dans le même cas, il y en a qui ont le talent de tout faire avec rien et la propreté ne coûte pas cher, mais …?
Je dois dire que je ne m’attendais pas à ce que je verrais. Dès le premier soir, tous les enfants sont arrivés dans ma cour. Tout de suite, je leur ai dit que je voulais que chacun demeure dans sa cour. La mère est venue me parler. Je lui ai expliqué que je ne voulais pas de chicane et le meilleur moyen c’est que chacun joue dans sa cour et que sur ce point je ne plierais pas. Une personne avertie sait comment agir ; elle a respecté mon point de vue.
Les enfants se parlaient de chaque côté de la clôture, donc les possibilités de disputes étaient amoindries. Je vous disais que malheureusement pour ces enfants, leur maman n’était pas propre. Elle venait pourtant d’une famille où, comme ses sœurs, elle avait dû apprendre la propreté, car ses sœurs étaient très propres. Est-ce la charge d’une famille qui augmentait trop vite et qui l’a laissée dépassée par les événements ? Pour moi, c’était impensable de voir tout ça. Je voyais arriver de la nourriture envoyée par le presbytère, les enfants fouillaient dans les boîtes et durant deux jours je les voyais avec toujours quelque choses à la main, puis, plus rien ! Elle laissait passer quelques temps et retéléphonait au presbytère pour avoir de nouveau de quoi manger et quand la paye arrivait : encore deux jours de fête.
Parlons du jour de lessive. Notre petite Huguette était encore aux couches et la voisine aussi avait des enfants dans la même situation. Plusieurs mouillaient encore leur lit. Je voyais sur la corde à linge des couches où les marques des petits dégâts s’enlèvent à l’eau de javel mais pour la voisine, c’était trop d’ouvrage, ça demandait trop de rinçage.
Je faisais tremper mes couches souillées après m’être débarrassée du contenu dans les toilettes; c’était trop d’efforts pour la voisine. Un jour, il pleuvait et je la vois étendre son linge ! Le rinçage se faisait sur la corde ! Quand le soleil en fin de journée est apparu, je vous laisse imaginer ce que j’ai vu. Je ne pouvais pas croire que ces couches seraient remises aux fesses d’un bébé… Je me disais que j’allais lui montrer sur ma corde qu’on peut avoir des couches blanches; ça me prenait plus de temps, il y avait toujours un rinçage supplémentaire, mais le résultat en valait la peine.
L’année suivante, la ville les a expropriés pour refaire la rue. À leur départ, c’était un taudis. Je demeurais dans une vieille maison, mais c’était un palace à côté de ce logement. Se trouver un logement, pour une personne réputée malpropre devient mission impossible. Alors, comme la ville ouvrait une nouvelle rue, il y avait une grande maison à déménager et on la leur a donnée. J’imagine qu’il y avait plus de place pour chacun ; quand ils sont partis, ils avaient 10 enfants.
Lors de leur déménagement, j’imaginais que je ne pouvais pas en voir plus. Hélas ! les matelas défoncés, de couleur douteuse, je ne pouvais croire que des enfants y dormaient. Je ne trouve pas les mots pour décrire ce que je voyais. Aujourd’hui, il y aurait eu intervention ; cependant je suis certaine que cette mère aimait ses enfants à sa façon car les chicanes avec les voisines étaient toujours reliées à la défense de ses enfants. Ce qu’elle ne voyait pas, c’est que c’était en partie de sa faute si ses enfants n’étaient pas comme les autres et acceptés.
Ma voisine d’en haut avait deux filles, une de l’âge de François et l’autre du même âge que ma fille. Ils s’amusaient très bien ensemble. Nous étions près de l’école et les garçons allaient souvent jouer dans la cour de l’école.
Laurent avait procuré aux enfants des lapins ; les enfants les sortaient de leur cages pour jouer avec eux. Remarquable : ils ne se sauvaient pas, ils étaient tellement caressés qu’ils ne pensaient pas à s’évader.
Mon autre voisine et son mari étaient propriétaires d’une fromagerie. Je ne peux pas dire que nous étions amateurs de fromage, mais elle m’a dit : «Quand tu auras goûté à mon fromage bien frais et chaud, tu verras !! Le goûter, c’est l’adopter.». Depuis, le fromage en grain a toujours fait partie de mon alimentation. Celui-là portait le nom de Fromage Princesse.
Durant les vacances d’été, nous allions toujours chercher Thérèse pour une semaine où deux, selon ce qu’elle pouvait. C’est à ce moment qu’un jour où nous sommes allés à Victo (Victoriaville), sans me le dire, en passant devant le bureau des licences auto, Laurent me dit : «Va chercher ton permis temporaire.». Avec le Plymouth automatique, mon apprentissage serait plus facile. Je dois dire qu’il n’y avait que peu de femmes qui conduisaient. Au début, je ne croyais pas que c’était très utile, mais l’avenir m’a prouvé que c’était le plus beau cadeau que je puisse recevoir : une autonomie incroyable. Laurent n’a jamais beaucoup aimé faire les commissions. Je crois qu’il s’est offert un cadeau à lui-même autant qu’à moi.
Au printemps de 1963, Laurent a eu des problèmes de santé. Il a dû être opéré pour les hémorroïdes. Habituellement, c’est une opération sans trop de complications, mais il a trop attendu. Un matin, en allant aux toilettes, il y a eu gonflements des veines variqueuses. Impossible de les rentrer à l’intérieur de l’anus. Il y a eu éclatement, donc hémorragie, et ça enflait de plus en plus. Il était 6 heures du matin et je n’avais pas de téléphone. Je suis donc sortie faire appel au médecin qui l’avait vu la veille. Il m’a répondu qu’il passerait dès que possible.
Je suis retournée à la maison. Laurent était de plus en plus souffrant. Je me suis mise à nettoyer le sang sur les murs afin de ne pas effrayer les enfants à leur réveil. Je suis retournée une autre fois téléphoner mais le médecin ne semblait pas croire que c’était urgent, car la veille, Laurent avait réussi à tout replacer à l’intérieur et comme le médecin l’avait vu la veille, pour lui, il n’y avait pas de conséquences. Il est arrivé vers 10 heures. Quand il a vu les dégâts, il me dit : «Vous auriez dû me dire que ça pressait !»… Il lui a fait une injection, il l’a pris dans ses bras et l’a amené à l’hôpital lui-même, directement à la salle d’opération où on a réussi à tout replacer. Il devait attendre qu’il n’y ait plus d’enflure, car s’il n’avait pas réussi, Laurent aurait eu un sac. Il a été opéré quelques jours après et il a évité d’avoir un sac.
Plus tard, le médecin m’a dit qu’il n’aurait jamais cru perdre un patient pour des hémorroïdes !
Laurent a fait un arrêt cardiaque 30 ans!!! Il était très fatigué car il travaillait beaucoup. On commençait à dire que lorsque certaines personnes en arrêt cardiaque étaient réanimées, ces gens pouvaient décrire une sortie de leur corps et se voir. Laurent s’est vu sur la table d’opération. Il était au-dessus de lui-même, à la tête, et regardait les personnes qui lui donnaient des soins. Cette expérience n’a duré qu’une minute ou même une seconde, mais il a pu voir que notre corps n’est qu’une enveloppe pour notre esprit. Il m’a dit par la suite que l’on se regarde mais on est indifférent à ce qui se passe, car on ressent un bien-être absolument incroyable. Comme il était très fatigué, il a ressenti un sentiment de repos impossible à décrire.
Le lendemain, l’aumônier est allé le voir, mais il ne lui a pas dit ce qui était arrivé. Avec le recul, on a compris pourquoi il lui avait dit qu’il valait mieux un âne en vie qu’un lion mort. Il a toujours retenu ce que le prêtre lui avait dit, mais de là à le mettre en pratique, c’est une autre histoire. Aujourd’hui, on voit qu’il faisait allusion à son arrêt cardiaque. Laurent a été hospitalisé une quinzaine de jours. La convalescence a été courte : une semaine plus tard, il retournait au travail. Il a recommencé lentement mais a repris le temps supplémentaire avec autant d’ardeur.
Ce même printemps, les enfants ont eu toutes les maladies de l’enfance. La pire, c’est la picote ! Huguette n’avait que deux ans et c’est elle qui a été la plus picotée : un vrai petit chevreuil. Je devais la surveiller constamment pour qu’elle ne se gratte pas. Malgré tout, elle porte une ou deux petites marques, mais si peu visibles qu’il faut le savoir.
Ma sœur a terminé ses études. Elle se dirigeait vers l’enseignement et elle a suivi son cours chez les Sœurs Grises de la Charité de Lévis. À la fin de ses études, elle avait décidé de faire son noviciat. Elle est demeurée un an environ ; elle avait eu le temps de prononcer ses premiers vœux et est sortie peu de temps après.
La santé de mon père n’allait pas bien du tout. Il était atteint d’une maladie rénale qui l’a amené vers le grand voyage. Il est décédé le 9 novembre 1963. Il était âgé de 58 ans, mais dans sa vie, il a eu plusieurs épreuves qui l’ont fait vieillir plus vite; les médecins disaient qu’il était usé comme un homme de 70 ans.
De nouveau, une épreuve qui m’atteint et qui me chagrine énormément. Je dois dire que j’avais une certaine inquiétude pour les enfants, mais je savais aussi que sa nouvelle épouse aimait beaucoup ma sœur et mes frères. Il était remarié depuis 5 ans. Thérèse était au couvent, Yvon et Michel étaient à la maison. Yvon avait 18 ans, Michel 13 ans, donc très jeune. D’ailleurs, l’épouse de mon père m’avait fait une confidence me disant qu’elle aimait bien mon père mais qu’elle l’avait non seulement épousé lui, mais davantage les enfants. Nous avons vu par la suite que c’était vrai : elle ne les a jamais abandonnés et elle a vu à leur bien-être aussi longtemps que la suite que c’était vrai : elle ne les a jamais abandonnés et elle a vu à leur bien-être aussi longtemps que les enfants ont eu besoin d’elle.
À la ferme, il y avait encore des animaux. Yvon et Michel se sont occupés d’eux tout l’hiver et, au printemps 1964, la vente et l’encan ont eu lieu. Mérilda est retournée à Montréal avec les enfants, là où elle avait travaillé toute sa vie. Je sais que mon oncle et ma tante Eliane ont aidé Yvon à se trouver du travail, mais Yvon est revenu à Manseau où le père de ses amis lui a offert un travail et un gîte. Thérèse, après sa sortie du couvent, est allée demeurer à Montréal, elle aussi. Pour sa première année d’enseignement, elle a été engagée à la Macaza, un petit village dans le nord de Montréal. Je suis allée voir ce petit patelin en 1999 et j’ai été surprise de l’étendue du territoire. Je me suis dit qu’elle avait dû se sentir loin, mais elle ne s’est pas plainte : elle aimait ce qu’elle faisait. Quant à Michel, il a continué ses études.
Ce même automne, après le décès de mon père, je me suis retrouvée à l’hôpital pour des examens. Le jour de l’assassinat du Président Kennedy, le 22 novembre 1963, je revenais vers ma chambre après un examen quand ma voisine est venue me dire la nouvelle. Tout le monde était triste de cet événement.
Laurent a pris une journée afin de trouver quelqu’un pour être à la maison durant son travail. Il a fait du porte à porte dans un rang de campagne, dans le coin de Villeroy et Val-Alain. A cette époque, les familles étaient nombreuses et avec beaucoup de besoins financiers. Laurent a trouvé une jeune fille de 15 ans que les parents ont laissé partir avec cet homme qu’ils ne connaissaient pas. Est-ce qu’aujourd’hui on ferait une chose semblable ? À cette période, on faisait encore confiance aux gens, mais c’est quand même incroyable !
Le lendemain, elle avait du lavage à faire, mais je crois qu’elle ne connaissait même pas le maniement de l’appareil, donc un beau dégât d’eau en a résulté que la voisine d’en haut est venue réparer. Quand Laurent est venu dîner, il avait laissé son habit sur le dossier d’un fauteuil dans le salon et les enfants étaient assis sur son habit, tout chiffonné… Il n’a rien dit et a ramassé et serré son linge. Le soir, en arrivant pour le souper, Huguette avait une assiette de betteraves dans le vinaigre devant elle et s’en régalait car elle aimait beaucoup ça, mais de là à ce que ce soit son souper, il y a une marge ! Et je crois que Laurent a dû se faire des toasts ainsi qu’aux garçons. Il a expliqué à la jeune fille qu’il ne pouvait pas la garder et il est allé la reconduire le soir même. Les enfants se sont retrouvés chez ma belle-sœur. Eux, ils étaient contents de retrouver leurs cousins, mais moi, je savais que le travail était considérable. Je suis revenue deux jours plus tard et … repos complet !
Heureusement, entre-temps, en ayant parlé à plusieurs personnes, on a trouvé la perle rare : elle se prénommait Jeannette. Durant un mois, je ne me suis occupée que de moi. Je pouvais vraiment compter sur elle. Donc, j’ai pu faire beaucoup de marche, prendre l’air, et me voilà de nouveau d’attaque . Jeannette m’avait fait à manger pour les Fêtes : tourtières, tarte au sucre etc. et elle le faisait très bien.
C’est ainsi que s’est terminé l’an 1963. J’espérais que 1964 soit un peu plus facile…
REMERCIEMENTS
REMERCIEMENTS
J’aimerais dire un merci bien spécial à René Beauchamp, mon cousin, et son épouse Mimi qui, par le billet d’Internet, m’ont secondée pour amener mon projet à terme. Quand je lui ai fait part de mon projet, il m’a offert de m’aider. Comment refuser une offre semblable ! Impossible… MERCI
Mimi corrige mes fautes en bon professeur de français. MERCI pour tout.
MERCI à ma tante Éliane qui m’a donné beaucoup de renseignements sur mes grands-parents maternels.
MERCI à ma fille qui m’a initiée à l’ordinateur, un cadeau inestimable : merci.
Yolande
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