Donc, je ne suis pas retournée à l’école; j’aidais ma mère. Et le 19 octobre 1950, un nouveau membre s’est ajouté à notre famille : Michel, un beau petit bébé blond aux yeux bleus. J’avais 16 ans et pourtant, lorsque la naissance s’est annoncée, on nous a tous envoyés chez le voisin parce que l’accouchement se déroulait à la maison. On ne gardait pas les enfants pour cet événement. Mon petit frère était un bon bébé et tous nous le gâtions beaucoup.
Au printemps 1951, le propriétaire du magasin général est venu m’offrir du travail au magasin. Les journées étaient longues : de 7 heures trente le matin à 9 heures le soir. Il se vendait de tout : nourriture, linge, outils, meubles, moulée etc.
J’ai aimé ce travail mais pas les heures très longues… Un soir, je suis arrivée chez moi tellement fatiguée à l’heure du souper que je suis allée m’étendre sur mon lit et lorsque j’ai voulu retourner au travail, j’en ai été incapable. Mon père a téléphoné afin d’avertir de mon absence; j’ai été une semaine au repos. Le patron est venu me visiter et me dire qu’il attendait mon retour. Je crois que je voulais trop bien faire et la nervosité m’avait rendue malade.
Je vais vous décrire Manseau à la période de mon adolescence. Il y avait beaucoup de travail pour les filles : manufacture de tricot, de couture, des restaurants, 2 magasins généraux, un cinéma. Plusieurs filles venaient de l’extérieur et, bien sûr, des garçons aussi. Cependant, pour les hommes, il y avait seulement une industrie de bois de sciage. Ceux qui en étaient propriétaires ne voulaient pas de concurrence. Tous les projets qui se présentaient étaient voués à l’échec car ces gens avaient de l’influence au gouvernement. Comme la ligne principale du chemin de fer amenait des propositions mais bien certain aussi de meilleurs salaires les syndicats n’existaient pas. Plusieurs industries auraient dû être à Manseau, mais c’est Princeville qui a récolté cette manne. Je me souviens que mon père, qui siégeait au conseil municipal, nous en parlait.
Durant l’été 1951, le curé, en chaire, avait annoncé qu’on offrait à Montréal des cours d’enseignement ménager. Ces cours étaient très populaires car on apprenait de tout : cuisine, couture, tricot, etc.. Tout cela afin de devenir de parfaites ménagères. Je n’étais pas parfaite et je savais qu’on pouvait toujours apprendre. Alors je me suis inscrite et j’ai été acceptée. J’ai commencé à me préparer car il fallait marquer tout notre linge; nous devions fournir nos couvertures et tout ce dont on a besoin tous les jours. Connaître, être pensionnaire, l’expérience me souriait beaucoup.
Ce programme débutait le 2 janvier 1952 et se donnait donc à Montréal, au coin des rues Sherbrooke et St-Denis. Les Sœurs du Bon-Pasteur faisaient partie d’une communauté cloîtrée. Les religieuses qui portaient un costume blanc ne sortaient plus jamais dans le monde. Celles qui étaient en noir sortaient pour les commissions et pouvaient recevoir des visiteurs tandis que les autres ne voyaient leur visite qu’à travers des grilles. Durant mon séjour, j’ai vu des religieuses prononcer leurs vœux. Elles arrivaient avec une robe de mariée et lorsque leurs vœux étaient dits devant tous les membres de leurs familles, elles se retiraient pour revêtir leur costume et c’est seulement à ce moment-là que les parents savaient s’ils ne reverraient leur fille qu’à travers des grilles ou pas. Je dois avouer que c’était une cérémonie très émouvante. Je ne sais pas si aujourd’hui les mêmes règles sont encore appliquées; ça me surprendrait, car il n’y a que peu de jeunes filles qui se dirigent vers cette vie monastique.
Je reviens à l’automne 1951. Ma tante Éliane avait pris un contrat pour faire des uniformes pour un pensionnat de jeunes filles. Elle avait besoin d’aide et est venue m’offrir de la seconder. J’ai accepté car je savais que j’apprendrais beaucoup et surtout quelque chose que j’aimais. Comme vous voyez, ma tante a toujours été très présente dans tout le cours de ma vie. Je laissais le magasin général sans aucun regret.
Ma tante avait montré à une religieuse à prendre les mesures et on faisait les costumes sur mesure. J’ai donc appris à modifier les patrons; c’est la clé de tout dans la couture. En même temps, nous avons fait mes propres costumes pour mon entrée à l’école ménagère en janvier suivant.
Mon oncle Jacques Beauchamp, mari de ma tante Éliane, m’a fait connaître sa famille qui habitait à St-Vincent-de-Paul. Mon oncle Jacques et ma tante Éliane demeuraient à cette époque sur la rue Lansdowne, à Westmount, un milieu anglais. C’est là que René, leur fils, donc mon cousin, est devenu bilingue, car à cet âge, avec les petits copains, on apprend vite.
À l’époque où je travaillais au magasin général, lorsque les toilettes d’été sont arrivées, je m’étais gâtée : je me suis acheté une robe, un chapeau, des gants, un sac à main, des souliers, et donc dépensé plusieurs payes que je n’avais pas encore gagnées.
Mes parents n’étaient pas très d’accord et je me suis vite aperçue qu’on ne dépense pas ce qu’on n’a pas encore gagné. La leçon m’a suivie toute ma vie. Quand j’ai raconté à ma tante ce que j’avais fait, elle m’a dit : «Je vais te montrer à dépenser et magasiner.». Nous avons fait des tournées de magasinage sur la rue St-Hubert à courir les aubaines; j’y ai trouvé de bien belles choses et appris à bien travailler et bien gérer mon salaire.
Le vendredi soir, j’allais chez la famille Beauchamp. Je prenais tramways et autobus et laissez-moi vous dire que de Westmount jusqu’à St-Vincent, c’était toute une trotte! Il y avait des soirées de danse organisées à la salle paroissiale. J’y allais avec Hélène, la sœur de mon oncle Jacques. D’un an plus jeune que moi, elle était la plus jeune de la famille. Son frère Jean nous accompagnait. Le dimanche, mon oncle et ma tante venaient me chercher tout en partageant le souper familial. S’il n’y avait pas de soirée à la salle paroissiale, Hélène venait me voir à son tour; on allait au cinéma, ou sur la rue Ste-Catherine faire tous les magasins, de l’ouest vers l’est. C’était quelques heures à passer pour voir les belles choses qu’on nous présentait, même si on ne pouvait se les offrir.
La voisine de ma tante, une anglophone, m’a donné un manteau de fourrure, du chat sauvage; il m’allait très bien. J’ai reçu d’elle plusieurs belles choses dont un long manteau de soirée que je ne pouvais porter mais il avait une doublure de beau satin avec laquelle ma tante m’a fait une robe de chambre très originale et chaude parce que cette doublure était pour un manteau d’hiver. J’ai appris à transformer les vêtements déjà utilisés et durant la période active où j’habillais mes enfants, ça m’a bien servie.
Je suis revenue chez moi pour passer les Fêtes de fin d’année, pour revenir le 2 janvier 1952, à l’école ménagère.
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